L’article analyse les biais que l’archivage a introduits dans l’historiographie russe sur l’État de Moscou avant la révolution de 1917. Il commence par présenter les principales étapes de l’organisation des dépôts d’archives historiques depuis l’époque de Pierre le Grand. Pendant longtemps, la politique archivistique de l’État vis-à-vis des dépôts historiques se révèle à la fois passive et défiante : peu d’investissements sont faits dans la conservation et la description des fonds, qui demeurent d’un accès difficile pour les chercheurs. Marquée par les réformes libérales du règne d’Alexandre II, la seconde moitié du xixe siècle voit une nouvelle étape avec la création d’un important dépôt d’archives historiques, les archives du ministère de la Justice à Moscou (Mamju), et la naissance d’une république des lettres russe. C’est alors qu’émergent les hypothèses historiques fondamentales qui continuent, aujourd’hui encore, à façonner l’idée que nous nous faisons de l’État de Moscou des xvie-xviie siècles. Deux études de cas sont présentées : l’utilisation des cadastres anciens (piscovye knigi) en tant que source pour l’histoire économique et sociale, et la théorie des groupes sociaux (soslovija) de Vasilij Ključevskij. Ces exemples montrent comment la segmentation des fonds d’archives, l’état inégal de leur conservation, les ambitions de l’archivistique ainsi que la nature et le rythme de mise à disposition de nouveaux outils d’investigation produits par les archivistes influencent les programmes et les résultats de la recherche historique.
This article analyzes the biases that archival practice introduced into Russian historiography on Muscovy before the revolution of 1917. It begins by presenting the main steps in the organization of historical archives since the reign of Peter the Great. For a long time, the state’s archival policy toward historical repositories was both passive and distrustful: little investment was made in the preservation and description of the collections, which remained difficult for researchers to access. The second half of the nineteenth century, marked by the liberal reforms of the reign of Alexander II, ushered in a new phase with the creation of a major historical archive, the Moscow Archives of the Ministry of Justice (MAMJU), and the consolidation of history as an academic discipline. It was during this moment that the fundamental historical assumptions that continue to shape our idea of sixteenth- and seventeenth-century Muscovy emerged. Two case studies are presented: the use of ancient land and population registers (piscovye knigi) as a source for economic and social history, and Vasilii Kliuchevsii’s theory of social groups (soslovija). These examples show how the segmentation of archival materials, the uneven state of their preservation, the ambitions of archival science, and the nature and availability of new investigative tools produced by archivists influence the agendas and results of historical research.
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